Aux Grands Hommes la reconnaissance de la nation : Jean-Félix Tchicaya, un des pères fondateurs de la République du Congo

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Né le 9 novembre 1903 à Libreville, Jean-Félix Tchicaya est le premier parlementaire du Moyen-Congo et du Gabon à l’Assemblée constituante Française. Il est également le fondateur de la première formation politique de l’histoire du Congo, à savoir le Parti progressiste congolais (PPC) et de la première association culturelle du Moyen-Congo dénommée « l’Harmonie de Pointe-Noire ». Il est avec Jacques Opangault, Robert Stéphane Tchitchelle et Fulbert Youlou, l’un des pères fondateurs de la République congolaise.

Biographie

Jean-Félix Tchicaya est né de Makosso Tchicaya et de Marie-Antoinette Ngouamba Portella. Il est le père du poète Tchicaya U Tam’si.

En 1900, Makosso Tchicaya, tailleur employé auprès de Louis Portella Mbouyou – grand-père maternel de Jean –Félix Tchicaya-, commerçant et notable de Loango très en vue à l’époque, décide d’exercer son savoir-faire d’abord à Libreville (Gabon), puis à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire). C’est durant son séjour à Libreville que naît son fils Jean-Félix.

Devenu très tôt orphelin suite au décès de son père, celui-ci est recueilli par son grand-père maternel, membre éminent du clan princier Vili des Boulolo. Il entreprend des études primaires d’abord à la mission catholique de Loango, puis de mars 1914 à octobre 1918 à l’école urbaine de Libreville, emmené par un enseignant métropolitain qui s’est pris d’affection pour lui.

En 1921, il est envoyé à l’École normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence dans les Bouches-du-Rhône, pour améliorer sa formation. En 1924, lui et Hervé Mapako-Gnali, père de Mambou Aimée Gnali, deviennent les premiers instituteurs du Moyen-Congo au sortir de l’École normale William-Ponty sur l’île de Gorée au Sénégal. Tout comme Houphouet-Boigny, il y sera un ancien élève d’Amadou Lamine-Gueye en classe de mathématiques.

Exerçant tour à tour les métiers d’instituteur, d’écrivain dans l’administration coloniale et de commis de finance (affecté au magasin de ravitaillement de la main d’œuvre du chemin de fer Congo-Océan jusqu’à la fin du chantier), il est mobilisé dans l’armée française en 1939, puis dans les Forces françaises libres en 1943. Il rejoint Alger en 1944 et reçoit d’ailleurs le grade de sergent et la médaille de la France libre.

Carrière politique

Jean-Félix Tchicaya fonde le groupe musical et social appelé «l’Harmonie de Pointe-Noire» et co-rédige des pétitions revendiquant l’amélioration des droits des autochtones instruits selon les normes occidentales.

Parmi ses succès, figurent la libération et la restauration au trône du Ma-Loango Moe Kaat Matou qui a régné sous le nom de Moe Poaty II ou N’Gangue M’VoumbeTchiboukili, le souverain traditionnel du Royaume de Loango. 

Cependant, au sortir de la seconde guerre mondiale, la France met en place, grâce à une Assemblée constituante, de nouvelles institutions pour relancer l’activité politique du pays. La représentativité de la France est alors étendue aux territoires d’Outre-Mer  comme l’AEF, dont les autochtones ont la possibilité d’élire des représentants. Alors que les vieilles colonies comme les Antilles élisent leurs députés au suffrage universel, l’AEF et l’AOF disposent de deux collèges électoraux distincts: le premier réservé aux citoyens métropolitains et le second aux autochtones, non citoyens. Le Gabon et le Moyen-Congo, à cause de leur faible population, constituent une seule circonscription électorale pour l’élection d’un député pour ce second collège.

Jean –Félix Tchicaya est contacté par les notables de Pointe-Noire, par télégramme, afin de faire acte de candidature pour le territoire du Gabon-Moyen-Congo. Le 7 décembre 1945, après un second tour, Jean- Félix Tchicaya est élu membre de l’Assemblée, devançant Jean-Hilaire Aubame, Jacques Opangault, Issembé et François-Moussa Simon.

Fondation du parti progressiste congolais

En 1946, Jean -FélixTchicaya, grand pourfendeur du colonialisme à l’Assemblée nationale française, où il siège pendant toute la IVe République, fonde son parti le PPC (Parti progressiste congolais), section congolaise du Rassemblement démocratique africain, proche du Parti communiste français, en compagnie de jeunes cadres comme Emmanuel Damongo-Dadet, Joseph Pouabou ou Robert Stéphane Tchitchelle. Ce dernier, bras droit du fondateur, sera le principal animateur du parti à Pointe-Noire et au Kouilou. Il rallie autour de lui tous les cheminots du CFCO (Chemin de fer Congo-Océan). Le talisman du parti était le léopard en référence à l’appartenance de Tchicaya à la famille régnante du Royaume de Loango.

Scission du parti et fin de règne

En novembre 1955, à l’issue de la session budgétaire de l’Assemblée territoriale, une dissidence apparaît au sein du PPC. Au cours d’un conciliabule qui se tient à Pointe-Noire, en présence du leader Tchicaya, dans le domaine de Mpita de Germain Bicoumat, plusieurs conseillers territoriaux démissionnent du parti. Ils reprochent à leur leader son manque de concertation dans certaines décisions (nomination des élus aux postes de responsabilité, le désapparentement du PPC au RDA à la suite de l’adhésion de Youlou).

Il s’agit des élus du Niari: Simon-Pierre Kikhounga-Ngot, Auguste Nzoungou, Raymond Ango; des élus du Pool: Prosper Decorad, Louis Vouama, Toundé Néré, Jean Maniaki, Nicolas Bakala et de l’élu du Kouilou: Robert Stéphane Tchitchelle.

Par la suite, Tchitchellé rejoint l’abbé Fulbert Youlou pour fonder l’UDDIA (Union démocratique pour la défense des intérêts africains). Ce dernier parti, en mobilisant politiquement les Laris, prend le leadership politique sur le PPC et permet à Stéphane Tchitchelle de devenir le premier maire autochtone de Pointe-Noire, avant d’occuper par la suite plusieurs postes ministériels.

Tous ces évènements vont marquer l’éclipse de Jean –Félix Tchicaya et de son parti le PPC après plus de dix ans de règne sans discontinuer sur l’échiquier politique.

Le parlementaire Tchicaya

Entre novembre 1945 et novembre 1946, au sein du gouvernement provisoire de la République française, le député socialiste Jean-Félix Tchicaya fait partie de la Commission de la France d’outre-mer. Il considère inacceptable le double collège, ce « système électoral injuste et dangereux » qui sépare les autochtones non-citoyens des citoyens métropolitains. Il souhaite la décentralisation des décisions économiques, le fractionnement des concessions trop vastes, la création à Bangui d’une filature de coton, ou encore l’augmentation du nombre de fonctionnaires indigènes afin d’atténuer la misère que révèle le déclin démographique du territoire. Il vote en faveur des deux projets de Constitution de 1946.

Alors que Jean Félix-Tchicaya se félicitait de l’abolition du travail forcé, le programme conservatiste blanc du RPF refusait en bloc le texte du Code du travail adopté récemment par les Assemblées métropolitaines, arguant que le développement économique de l’Afrique équatoriale en pâtirait. De plus, le RPF s’insurgeait ouvertement contre l’instauration d’un collège électoral unique dans les colonies.

Face à cette situation, le député sortant préfère jouer la carte de la modestie et de la modération. Il promet de développer la liberté et la fraternité qui évitent à un peuple isolé d’être la proie des puissants.

Il est finalement réélu avec 23 213 voix soit 44,2 % des votants contre 55,1 % en novembre 1946. Jean-Félix Tchicaya est toutefois hostile au projet de création d’une armée européenne ou Communauté européenne de défense (CED).

Mais ce qui le préoccupe plus que tout, c’est l’émancipation politique et économique de l’Afrique en général et du Moyen-Congo en particulier. Il propose les textes de loi suivants:

Institution d’un collège unique dans les territoires d’outre-mer; Evolution du statut de Pointe-Noire de à commune mixte à celui de commune de plein exercice; Création d’une trentaine de communes de plein exercice et réorganisation de toute l’administration municipale d’Afrique noire en associant plus largement la population indigène dans sa gestion; Souhaite la construction de l’usine hydroélectrique de Sounda (Kouilou), afin d’alimenter l’usine Pechiney de traitement du phosphate à Makola qui deviendra plus tard la Compagnie des potasses du Congo.

En 1956, lors de la troisième législature de Quatrième République, Jean-Félix Tchicaya est réélu sous l’étiquette du Parti progressiste congolais, par 45 976 voix, soit 29,7% des suffrages et talonné de près par ses deux adversaires, le socialiste Jacques Opangault  qui obtient 43 193 voix et l’abbé Fulbert Youlou qui en obtient 41 084.

Politique française au Congo

La France va favoriser à partir de 1956, la victoire de Youlou (action à l’échelle du territoire congolais), pour le mettre sur le même pied d’égalité que ses deux principaux rivaux Jean-Félix Tchicaya et Jacques Opangault. Ensuite, la France obtient l’adhésion de Youlou et celle de son parti au RDA (action à l’échelle africaine) au début de l’année 1958; concurrençant ainsi directement Tchicaya, qui se retire alors du RDA. Enfin, la France ouvre à Youlou les portes d’un univers normalement réservé aux seuls députés africains (action à l’échelle française) en l’occurrence à Tchicaya.

Le Mouvement socialiste africain (MSA) de Jacques Opangault, émanation locale de la Section française internationale et ouvrière (SFIO) de Guy Mollet, remporte les élections de l’Assemblée territoriale de 1957. Cette majorité toute relative ne survit pas à la défection de Georges Yambot, député du Grand Niari, membre du Groupement pour le progrès économique et social (GPES) de Simon-Pierre Kikhounga-Ngot, faisant ainsi basculer le leadership du MSA vers l’UDDIA au sein de l’Assemblée territoriale en novembre 1958. De sanglantes émeutes et des scènes de vandalisme éclatent à Brazzaville et à Pointe-Noire, principalement entre ressortissants des ethnies Lari et Mbochi. Cette période trouble va coïncider avec le transfert de la capitale du Moyen-Congo de Pointe-Noire vers Brazzaville. Ainsi, avec cette perte d’indépendance, une partie des décisions administratives, politiques et économiques concernant la ville de Pointe-Noire sont prises dorénavant à Brazzaville.

En mai 1958 il quitte le groupe parlementaire Union démocratique et socialiste de la Résistance et Rassemblement démocratique africain (UDSR-RDA) pour adhérer au parti du Regroupement africain et des fédéralistes, dont il deviendra vice-président. Il continue à réaffirmer son attachement au collège unique.

Lors de sa dernière législature, son activité parlementaire est plus réduite que les précédentes, en partie pour des raisons de santé. Jean-Félix Tchicaya vote la confiance au gouvernement de Pierre Pflimlin et la révision constitutionnelle du 27 mai 1958. Le 1er juin 1958, il vote la confiance au général de Gaulle et le 2 juin 1958 les pleins pouvoirs et la révision constitutionnelle. Il meurt le 16 janvier 1961 à Pointe-Noire où une école primaire, un collège d’enseignement général et un monument lui sont dédiés. Ce dernier se trouve au rond-point de Loandjili près de l’hôpital du même nom.