Georges Nguila : « Elire le Président de la République par un collège électoral et non au suffrage universel »

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L’ouvrage est passé de 340 à 410 pages, divisé en trois parties.  L’histoire politique, économique et sociale depuis les Makoko à 1960, l’histoire, sociologie, économie et politique extérieure du Congo de 1960 à 2021 et analyse politique développementaliste, des partis politiques, de la violence et de la corruption, du système électoral et aussi des recommandations sur la paix et le développement. Présenté à la presse le 11 février 2022 à Brazzaville, l’ouvrage est vendu à 15 000 FCFA l’unité est  surtout une manne à information pour les étudiants et chercheurs puisque qu’il contient des informations et statistiques de qualité venant de sources crédibles.Georges Nguila, l’auteur dudit livre s’est donc prêté au jeu de questions réponses avec notre rédaction afin de faire une analyse et une synthèse du contenu de son ouvrage.

Polele-Polele Congo : vous avez sauté la nouvelle préface et dans celle-ci vous parlez du développement politique et vous rendez hommage à Samuel Huntington qui est votre source d’inspiration si on peut dire ainsi, mais c’est quoi le développement politique auquel vous faites allusion ?

Georges Nguila : Le développement politique est différent du développement économique mais il est une condition sine qua none du développement économique. Le développement politique montre comment les différents Etats du monde ont évolué en centralisant l’autorité, en assurant la participation politique et en développant des institutions qui canalisent et tempèrent la participation. Il faut un équilibre entre la participation politique et la centralisation de l’autorité par des mécanismes institutionnels idoines. En comparant la France et les USA, on s’aperçoit que la France commença par la centralisation de l’autorité puis la participation politique ne se fit qu’après la révolution de 1789. Les USA commencèrent par la participation politique et ce ne fut que plus tard qu’on vit la centralisation de l’autorité. Or, nos pays formés hâtivement à la Conférence de Berlin en 1885 et devenus indépendants en 1960 auront connu la simultanéité de la participation politique par le multipartisme assis sur des bases tribales et le problème de la centralisation de l’autorité au début des années 1960. Le développement politique est un courant de pensée réaliste qui exige de tempérer ou de canaliser la participation politique pour éviter l’instabilité politique.

PPC : Mais est-ce que cela s’applique à l’histoire du Congo qui avouons-le est restée instable ?

GN : Justement, je ne présente pas l’histoire du Congo comme un historien mais je pars de l’analyse développementaliste et vous verrez que c’est facile de comprendre la pagaille congolaise. Le Congo a vécu cette pagaille avec une la révolution de 1963 qui augmenta la participation politique et Massamba Débat la réduisit afin qu’elle n’impacte pas le travail de l’administration mais Ngouabi vint augmenter la participation et Yhombi fut aussi un autre autocrate à la Massamba Débat et il réduisit la participation. Vous constaterez que le multipartisme augmenta la participation politique en 1992 et il y eut 125 députés en 1993 mais après cette forte participation, Sassou se montra autocrate à la Massamba Débat-Yhombi et réduisit la participation politique et il n’y eut que 75 députés sous le Conseil national de transition. Et au Congo, on constate que toute réduction de la participation politique est suivie d’un coup d’Etat. Débat réduisit la participation du CNR où il y avait des militaires comme Ngouabi et en 1968, il y eut coup d’Etat. Ngouabi réduisit la participation politique avec le Conseil d’Etat de 1970 qui regroupait les hauts politiciens et en 1972, il y eut un coup d’Etat et en 1973, on remit l’Assemblée nationale et de même en 1975, il y eut réduction de la participation avec l’Etat-major spécial révolutionnaire qui mit au chômage le PCT et ses membres du comité central puis en 1976, il y eut coup d’Etat. Le Congo n’arrive pas à avoir l’équilibre entre la participation politique et la différenciation institutionnelle et à cause des monopoles ethniques ou commerciaux locaux ou étrangers de facto qui bloquent le pluralisme social, tout le monde veut s’engouffrer en politique et c’est pourquoi il y a eu naguère 100 partis politiques au Congo alors que le Sénégal n’en affiche qu’une douzaine avec 17 millions d’habitants ; c’est ce qui explique qu’il y ait eu  1000 candidats du PCT pour 151 sièges en 2022. Samuel Huntington avait expliqué tout cela en 1968.

PPC : Mais cela n’explique pas toute l’instabilité politique du Congo ?

GN : Effectivement. Hormis la forte participation politique élevée, l’une des sources de l’autocratie est la faiblesse démographique du nord et cela fait que la lutte politique est asymétrique et un candidat du nord sera tenté de tripatouiller les élections pour se faire élire et si Lissouba avait dit qu’ « on n’organise pas des élections pour les perdre », Sassou aussi n’en a jamais organisé pour les perdre et les candidats du nord sont d’office marginalisés dans un vote honnête. C’est pourquoi pour donner l’égalité des chances à tout le monde, il faut élire le candidat par un collège électoral et cela réduirait aussi la corruption et les dépenses électorales lors des présidentielles…

PPC : Mais comment expliquer la percée de Mokoko en 2016 ?

GN : On dit que les Français votent au premier tour par le sentiment et au deuxième tour par la tête mais au Congo, on ne vote que par le sentiment au premier et au deuxième tour. En 1992, le vote étant ethnique et au suffrage universel, on vit qu’au deuxième tour, il n’y eut que des candidats du sud, Lissouba et Koléla et Sassou fut mis hors-jeu dès le premier tour. Ceux qui portèrent Mokoko en 2016 sont des gens du sud qui pouvaient se rétracter au deuxième tour comme Koléla Parfait lorgnait déjà l’entente avec les candidats du sud et Mokoko allait être facilement battu. C’est pourquoi je propose qu’on abandonne le vote du Président au suffrage universel et que cela se fasse par un collège électoral ou par un vote préférentiel…

PPC : Donc vous souhaitez que le Président de la République soit élu par l’Assemblée ?

GN : Non, je suis contre cela parce que le vote du Président de la République par l’Assemblée apporterait plus de troubles dans le pays. Ce serait un vol ou un hold-up de la souveraineté populaire et dans mon livre j’ai démontré que l’élection d’André Mouelé à l’Assemblée en 1992 fut un coup d’Etat parce que les Congolais avaient confié leur destin à Pascal Lissouba suite à la présentation de son programme et Mouélé lui ravit la gestion du destin collectif par la politique politicienne sans même s’être présenté devant le peuple avec un projet de société. Dans mon livre, je demande aux députés, à la majorité et à l’opposition parlementaire et extra-parlementaire de se pencher sur cette question afin de déterminer un corps électoral, des règles d’accès à la Présidence de la république et vous voyez que ce n’est pas seulement le cas du nord mais même les gens du Kouilou qui ont une population minoritaire savent que démographiquement, un candidat du Kouilou ne peut pas accéder à la Présidence de la République avec le vote au suffrage universel. Mavoungou Mabio le sait et en voulant se présenter aux élections de 2021, il cherchait à se positionner et à marchander ses suffrages potentiels…

PPC : A vous entendre Mavoungou Mabio du Kouilou ne pouvait pas remporter la Présidence de la République même s’il aurait eu le meilleur projet de société ? Mais comment expliquer l’élection de Félix Tchicaya en 1945 puisque le Kouilou a toujours eu un déficit démographique comme le Nord?

GN : C’est simple à comprendre. Le Kouilou fut la première zone du pays à être évangélisée et scolarisée et la première église de Loandjili date de 1873 avant même le traité de Brazza-Makoko de 1880 et l’Eglise de Linzolo date de 1883. Il y avait une ancienneté des élites au Kouilou lorsque le Pool était anesthésié par le matswanisme. Massamba Débat fut membre du PPC ou Parti progressiste Congolais mais lorsque Youlou créa l’UDDIA et se fit passer pour le nouveau Matswa, Massamba Débat quitta le PPC pour l’UDDIA et l’ancienneté des élites du Pool conjuguée à la forte démographie leur permit la prise du pouvoir mais avec des négociations. L’élection de Félix Tchicaya en 1945 relève aussi de l’ascendant personnel et des négociations qui eurent lieu entre les candidats congolais face aux candidats gabonais comme Hilaire Aubame ou Emile Issembé. Même au niveau de l’Eglise, l’élection du Pasteur Nsouami, un fils du Kouilou, à la tête de l’Eglise Evangélique du Congo dans les années 2000 s’était passée dans les mêmes conditions. Il y avait l’ascendant personnel du Pasteur Nsouami qui fut une élite avec un doctorat en théologie face à de nombreux pasteurs du Pool ou de la Bouenza qui n’affichaient que des licences et des masters en théologie et avec les combinaisons, le Pasteur Nsouami fut élu dans les mêmes conditions que Félix Tchicaya en 1945. Félix Tchicaya sortait de l’Ecole William Ponty en Afrique de l’Ouest et Nsouami avait obtenu son doctorat à Yaoundé et avait un ascendant personnel sur les autres candidats et je connais mon église puisque nous n’avons pas encore eu un président de l’Eglise Evangélique issu du nord et même dans l’Eglise catholique, ce problème s’est posé d’où l’inflation actuelle d’évêques ou les récriminations des catholiques du Kouilou suite au licenciement de Pwaty Godefroy ou de Jean Claude Makaya.

Que les cadres et les intellectuels se documentent et ils verront que des pays ayant de fortes divisions ethniques ou religieuses comme l’Irlande du Nord, le Kenya, le Sri Lanka  ou le Nigeria ont amendé leurs systèmes électoraux pour résoudre la question de l’égalité électorale des citoyens face à l’inégalité démographique des groupes ethniques ou religieux.  L’Institute for Democracy and Electoral Assistance ou l’IFES ont  documenté de nombreux cas pareils à travers le monde et on peut les consulter sur leurs sites web. Pour élire un Président de la République, il n’y a pas que le vote au suffrage universel et en Bolivie, un Président fut élu au premier tour avec 20% alors qu’au Nigeria, les électeurs peuvent aller jusqu’au troisième tour.

PPC : Mais les femmes sont aussi marginalisées au Congo alors qu’elles sont majoritaires…

GN: Justement, elles constituent 52% de la population mais en lisant votre dernier numéro, vous avez-vous-même souligné que cette représentation est passée à 11,25% alors qu’elles sont 52%. Hormis au Koweït ou au Qatar, on a pris des dispositions comme la réservation des sièges à l’Assemblée puisque les partis politiques respectent rarement le principe de l’incorporation des 30% de femmes sur leurs listes électorales. Nous devons revoir notre système électoral et le vote par un collège électoral de 60.000 personnes réduirait aussi les dépenses électorales et la corruption sociale…

PPC : Vous pouvez être plus clair ?

GN : C’est la corruption politique qui entraine la corruption électorale et la corruption sociale. Tenez, Ellen Sirleaf Johnson, la première femme africaine élue présidente de la République au Liberia et qui battit George Weya révéla dans ses Mémoires (This child will be great) que sa campagne politique fut estimée à 1 milliard CFA et qu’elle ne fut pas capable de rassembler tout cet argent et au Congo on peut aussi estimer la campagne présidentielle à ce coût et d’où les candidats peuvent-ils avoir ce milliard et dites-moi pourquoi la plupart des nouveaux députés ayant battu les candidats du PCT aux législatives revenaient des régies financières (Impôts, douanes, trésor) ? Cela suppose un peu de corruption pour avoir les 10 à 20 millions de campagne électorale législative.

PPC : Mais l’Etat ne finance-t-il pas les campagnes électorales ?

GN : Non et c’est là où je trouve que Sassou ne veut pas construire la démocratie en finançant les partis politiques. Sous Sassou 1, l’Etat finançait le PCT et les organisations de masse à hauteur de 2,6 milliards non dévalués par an (5,2 milliards aujourd’hui) et les budgets de l’Etat ne dépassaient pas 300 milliards. En refusant de financer les partis de l’opposition, Sassou les cantonne à ne rester que des partis ethniques et régionaux incapables de battre campagne dans le reste du pays et de ce fait, Sassou ne fait pas progresser la conscience nationale… Le Ghana a eu une politique de promotion de partis locaux en partis nationaux tout comme le Kenya. En refusant de financer les partis politiques de l’opposition et en ne limitant pas aussi les dépenses électorales, Sassou pousse indirectement, sans le savoir, les éventuels candidats fonctionnaires à la corruption et la corruption politique d’un système électoral mal pensé impacte négativement le reste de la société. L’étude du PNUD en 2003 ne tint pas compte de cela.

PPC : Dans votre livre vous avez aussi abordé la question de la construction nationale, de l’unité nationale, du génocide des Laris et de la question du Pool ou des gens de la Likouala…

GN : Tout à fait. Cette question concerne le tribalisme, le régionalisme, les langues, la répartition du gâteau national, les emplois dans l’administration publique et là-dessus Sassou n’a pas pu créer la synergie nationale et il y a plus une paix forcée et non une osmose nationale. Jeune Afrique avait posé cette question à l’ancien Premier Ministre et ancien Directeur général adjoint de l’UNESCO, Henri Lopès en 2018 : « Selon vous, quel est le problème essentiel du Congo ? Réponse : le tribalisme. On a tendance à se regrouper en tribus, les uns pour dominer, les autres pour se protéger ». En juillet 2021, on avait aussi posé cette question à Collinet Mackosso à l’Assemblée nationale : « Comment vous expliquez le repli identitaire dans l’administration publique ? » De même, il y a un problème entre le nord et le sud que les gens veulent occulter parce qu’ils sont incapables de l’analyser et d’y apporter des solutions. Le cas de Mottom dans la Sangha en cette année 2022 n’a pas surpris les gens… J’ai analysé les contentieux nationaux et mes recommandations sont simples même si les gens les détesteront. Il faut ériger une statue en l’honneur de Massamba Débat ; il faut réparer à hauteur de 20 millions par personne les ayants-droits des fusillés au petit matin (Ndoudi Ganga, Kianguila &co) parce que la Conférence nationale de 1991 avait démontré qu’il y a des doutes sur leur responsabilité dans l’assassinat de Marien et on ne doit pas chercher une révision judiciaire inutile mais panser les plaies du passé. Il n’y a pas eu de génocide au Pool mais des atrocités et il faut simplement attribuer un statut de chef de district à Ntumi et songer à la réinsertion des Ninjas et mettre un fonds de restauration du Pool de 15 milliards.

PPC : Vous ne faites pas aussi cadeau au gouvernement sur la gestion publique et vous dites qu’il ne fait rien sur le chômage des jeunes estimés à 1 million de chômeurs, alors, que proposez-vous ?

GN : Sassou avait reconnu lui-même ce chômage dans son discours de 2009 à la nation. Dans le plan 2016-2022, les planificateurs avaient reconnu que le chômage des jeunes atteignait 35% dans une certaine tranche démographique mais ils conclurent que des études ultérieures devraient être menées pour affronter ce problème mais rien n’a été fait et le plan 2022-2026 n’a rien prévu sur cette question et ce plan n’est pas à la hauteur des attentes des Congolais. Il a trop de lacunes. Un plan doit être participatif et le plan 1982-1986 fut participatif mais celui-ci a été élitiste et top-down sans association des populations à la base. Ils pensent qu’ils savent tout, eux-mêmes et ils évitent de consulter la population sur ses problèmes. De la sorte, les populations au grass-roots level ne peuvent pas proposer des solutions face à leurs problèmes alors qu’au moins 10% du chômage peut être résolu en consultant les populations à la base. Il y a des ingénieurs agronomes et des médecins sortis des universités et leur a-t-on demandé comment et avec combien peuvent-ils créer l’auto-emploi afin de voir ce que le gouvernement pourrait faire à ce niveau au lieu de n’attendre que la Fonction publique ? En 2026, la population en âge de travailler sera de l’ordre de 1,5 à 2 millions d’habitants et qu’est-ce qui a été prévu pour faire face à cette menace potentielle à l’ordre public ? Même si on faisait des propositions à ce gouvernement, rien ne réussirait tant que la gouvernance publique ne sera pas assainie et la population apaisée sur ses inquiétudes sur l’avenir. Les Congolais ont peur de l’avenir et le gouvernement n’arrive pas à rassurer avec sa gouvernance et cela tant qu’on n’aura pas lutté contre la corruption…

PPC : Vous voulez dire qu’il n’y a pas de remèdes économiques sans assainissement de la vie politique ?

GN : Effectivement, il faut d’abord susciter la paix en désamorçant la violence politique électorale et aussi assainir le pays de la corruption.  En se référant à l’agriculture et l’industrie, il y a lieu de dire que les objectifs ne sont pas bien définis en agriculture et le plan de résilience est venu comme questionner le PDAC et les autres mesures agricoles. Il y a comme un manque de clarté et de coordination dans les objectifs à atteindre. L’industrialisation ne se décrète pas et il y a des préalables et la Corée du Sud eut des instituts comme le South Korea Institute of Technology. Le Ghana a depuis longtemps le Consultancy and Technology Center construit avec l’aide d’Intermediate Technology de Grande Bretagne. On n’a pas voulu accompagner Tsengué-Tsengué par exemple et que veut-on ? Quelles leçons le gouvernement tire-t-il de l’échec du plan de l’ONUDI  sous Mvouba ? Les meilleurs chercheurs sur la question comme les Dani Rodrick, les Haussman Ricardo, les Ha Joon Chang ont fait remarquer qu’on n’achète pas le développement mais on se l’approprie et il y a parfois eu des clauses de transfert de technologie comme les Chinois l’ont fait. Huawei dut faire appel à Siemens qui implanta des laboratoires techniques en Chine. L’équipe de la Banque Mondiale à Brazzaville n’a même pas proposé l’approche d’un ancien économiste de la BIRD Bela Balasa sur le développement industriel et qui proposa l’analyse des coefficients de technologie. Plus, le plan doit être accompagné de directives économiques sectorielles.